Monday, February 26, 2007

Le Hot-Dog de Clint ( et moi) - Variation sur "Le Bon, la Brute & le Truand"



Il existe une ville paumée dans un coin paumé d’un pays lui-même paumé. Le bled en question se nomme Santa-Clasa et rien que pour ce nom il mériterait qu’on ne s’y arrête pas. La ville tient en trois phrases rondelettes, on y trouve du sable, des coyotes et un bar. Devant le bar il y a le désert qui s’étend comme une lagune asséchée et derrière il y a encore et toujours le même désert qui s’étale comme un fossile tout desséché. Et au-dessus de la caboche d’une fouine entrain de se rôtir la queue à l’ombre d’un bidon crevé il y a le soleil qui vous brûle les pellicules. Je rajouterais que je n’ai plus de pellicules mais que ça tape quand même. Quant à la dernière phrase, je vous la donne en mille, elle s’est évaporée d’elle-même, car au bout de quelques bières Santa-Clasa se réduit à une peau de chagrin entrain de frire sur la grande poêle aride des plateaux mexicains.

Je sirotais un cocktail cependant, dans un petit coin d’ombre de ce bar pas si dégueulasse que ça, entre le tablier de Pepe et le regard d’une fille du coin qui tirait trop fort sur sa clope. Moi, je me contentais de faire rouler quelques volutes de fumée hors de mon nez cabossé par trop d’années de valdingue. Mais qu’importe, je descendais mon cocktail, façon réglementaire, en petites lampées bien serrées. Pepe me jetait de temps en temps en regard en coin, de celui qui lui faisait briller l'oeil de verre, tout en brossant des bocks d’un coup de torchis vigoureux. D’ailleurs, son torchon était aussi sale qu’un cul mal entretenu, c’est pour dire. Moi-même je ne paie pas de mine, je ne dirais pas le contraire, mais de ce côté-là je ne peux rien me reprocher, je suis d’une hygiène tant méticuleuse que malicieuse. Bref, Pepe essuyait, moi je somnolais au-dessus de ma boisson et la fille ruminait sa clope comme un chuckwalla déshydraté. C’est à ce moment précis que se produit l’imprévisible, du moins de mon point de vue, qui commençait à sévèrement loucher sur la droite. La fille se leva et s’installa en face de moi. J’en manquais perdre mes bretelles, les bleues et blanches à pois violets. Elle me cracha toute sa fumée dans le visage, ce qui me fait grogner.

- C’est 150 dollars la passe, m’informa t’elle des ses jolies dents toutes noires et écaillées.
- C’est con, je suis fauché.

C’était bien entendu un pieux mensonge, les dollars s’entassaient par rouleaux bien ficelés au fond de la poche de mon pantalon. Je crus néanmoins discerner un certain émoi, du moins il me plaît de le qualifier ainsi, émoi donc qui renvoyait non pas à un désespoir (celui évidemment de ne pas mettre le vagin sur 150 dollars) mais bien plutôt à une certaine satisfaction (celle justement de ne pas mettre le vagin sur 150 dollars). Quoi qu’il en soit, elle demeura silencieuse, comme perdue dans ses pensées de putain, de celles, m’imaginais-je, où le préservatif danse le tango avec le string, emporté tous deux par un orchestre de cactus.

- Comment t’appelles-tu mon enfant ?, lui demandais-je au bout d’un moment.
- Eastwood, Cint Eastwood.

Peu original, je vous l’accorde, mais quand même assez séduisant. Clint Eastwood donc, puisqu’il faut la nommer ainsi, se ralluma une cigarette. J’imaginais un instant l’état de ses poumons, qui à mon avis étaient bons pour un contrôle technique, il va de soit qu’il en allait de même pour sa dentition. Mais je ne suis pas du genre à être trop regardant, surtout quand j’ai de l’argent plein le pantalon. J’évaluais donc la mécanique d’un coup de tête que je pensais être tant blasé que séducteur, ce qui ne manqua pas de la faire marrer. Elle me traita de gringo, ce qui n’était pas faux, puisque je suis né dans un cul de basse-fosse qui sentait bon le maïs grillé.

- Pour 100 dollars je suis à toi guapa, lui dis-je.
- Estas loco, mais va pour 100 dollars.

Il dû y avoir une tempête sous un utérus pour qu’elle se décide enfin à accepter mon offre, de celle qui ne souffle d’ailleurs jamais au-dessus de cette brave petite ville. Pepe me balança un clin d’œil par-dessus son comptoir, façon de me signifier que je réalisais une bonne affaire et que mon retour sur investissement ne devrait pas me laisser indifférent. D’autant plus que le bonhomme touchait sa petite commission sur ces ébats pas très catholiques. Mais il faut bien vivre, je ne lui reproche rien. Clint m’entraîna dans l’arrière-cuisine, entre les casseroles toutes graisseuses et le formica constellé d’éclats douteux. Elle ouvrit le frigo en en sortit une grosse saucisse dont elle me fouetta le visage. C’était selon elle ce qu’aimaient les gringos. Un bon gros coup de saucisse dans les tempes. Elle continuait donc à me labourer les joues tout en m’aspergeant de ketchup. Je réclamais de la mayonnaise, car c’est ainsi que j’aime mon hot-dog, mais il n’y en avait plus en stock. Pour remédier à ce souci elle fit sauter le bouchon d’un pot de moutarde d’un coup de canines et me l’étala d’une claque sur la tronche. Dieu merci il y avait des oignons entrain de baigner dans un bocal tout fangeux, et elle me les carra dans les oreilles, en me les enfonçant bien fort à l’aide de deux tranches de pain complet, ce qui m’étonna d’ailleurs. Car qui aurait cru trouver du pain complet dans cette bourgade ? Je pataugeais dans une sorte de limon pâteux sentant bon la viande avariée tandis qu’elle continuait à me malaxer les reins et les côtes. Elle enleva son chemisier aussi fleuri qu’un érable en plein automne et me le noua autour du front. Je pensais à tout un tas de choses avec ce fichu bien serré sur le crâne, notamment au fait qu’après un hot-dog j’aimais tout particulièrement mangé un bon muffin aux myrtilles. Ni une ni deux elle m’en fourra un dans la bouche, et les petites baies craquèrent sous mes dents. Elle me demanda si j’aimais ça, je ne lui répondis rien, je ne parle jamais la bouche pleine. Pepe choisit cet instant culinaire pour prendre de la glace au congélateur, et ça le fit marrer, un rire tonitruant qui vous éclatez les tympans. En ressortant il en profita pour me mettre une petite baffe sèche sur la joue. Il s’en lécha les doigts. Sans trop bien comprendre comment ni pourquoi je me vis en slip, alors que Clint Eastwood balançait mon pantalon d’un moulinet du poignet. Je lui pris les hanches et la plaquait contre la gazinière, qui par malheur ne fonctionnait plus depuis dix ans. Elle m’arracha mon slip d’un coup de bec, chose que je n’avais encore jamais vue, surtout quand lorsqu’il manque une trentaine de dents à la personne exécutant ce tour audacieux. J’en perdis mon Espagnol ainsi que la boule, lorsque le rouleau à pâtisserie s’effondra sur mon crâne. Expérience douloureuse pour le coup, surtout lorsque l’on gît nu au milieu d’une cuisine mexicaine puant l’arachide.

Lorsque je revins à moi, Pepe me tendit un verre de bière que je confondis avec de la pisse. Je le bu quand même, j’avais le gosier en feu, la moutarde expliquant peut-être cela. Je vous le dis tout suite, j’étais toujours à poil, ma tronche encore enturbannée du fichu de Clint, le corps couvert de moutarde et de ketchup, et un oignon se baladait dans un des orifices intimes de mon anatomie, ce qui me démangeais énormément. Je réclamais mon pantalon, qui avait disparu dans le sac de Clint Eastwood, qui bien sur avait elle aussi disparu je ne sais où, dans une grotte de ce désert merdique probablement. Je la voyais entrain de s’allumer une cigarette tout en comptant les liasses de bifton que chiait mon jean. Pour être honnête je dois bien dire que je me sentis affreusement con. Pas tant de m’être fait volé, mais je me rendais compte maintenant qu’elle avait oublié un affreux détail qui me glaçait le sang. Il manquait du persil. Et un hot-dog sans persil m’a toujours rendu infiniment triste. Je me sentais morose et saisi mon sac. La porte du bar claqua derrière moi, tandis que je foulais ce sable dégueulasse qui s’infiltrait par tous les trous de mes guenilles. Mais dehors il n’y avait rien à faire, ça s’étendait à l’infini sous le cagnard. Je m’allumais une cigarette et mis à marcher vers le levant tout en cultivant le fol espoir de trouver un marchand de hot-dog ambulant sur la route pour calmer ma petite fringale.

1 Comment:

Anonymous said...

2 reprises aux grandes variations, sur le fond et la forme. Pour celle-ci, qui est plus véritablement une reprise du fond et de la forme:
_j'aime, c'est presque - avec tout la difficulté à le dire en comparant un travail de longue durée à la création d'un week-end - plus agréable à lire que l'original.
Evidemment, les contraintes et les libertés en sont différentes. Tu as mis en place le manque que tu reprochais, je pense, en festoyant d'images, de métaphores et de descriptif visuel.
Toujours intéressant de voir le travail imaginatif à partir des personnages et du lieu, ce qu'ils sont devenus, ce qu'il en reste.
Le narrateur est devenu bien pourri a la moelle, a un peu perdu son coté neutralement calculateur, pour devenir un vrai gringo du désert, à l'aise en son milieu et dans la rapine.

En fin de compte, un exercice enrichissant, plus que dans le commentaire, je vois en action comment tu procéderais, ce qui permet de nouveaux choix, ou de nouvelles justifications de non-choix, et ainsi de suite.

s