Monday, February 26, 2007

Variation sur "Le Bon, la Brute & le Truand"



- Dis-moi Pepe, sais-tu ce qu’est un blog ?

Pepe ne me répondit rien. Forcément, il n’était pas de moi, et il ne parlait pas aux inconnus. Son papa l’avait bien élevé. Pourtant, au fin fond de son bar miteux, Pepe ne payait pas de mine, tandis que je le voyais tantôt moustachu tantôt roux. Pour tout dire, je ne savais pas vraiment à quoi il ressemblait, je n’en avais qu’une image vagabonde sur laquelle je n’arrivais pas à focaliser. Son père l’avait fait ainsi, il l’avait écrit dans les brumes d’une conception obscure. Je ne sais pas où il l’avait fécondé, ni même si il y avait pris du plaisir, mais Pepe se tenait là devant moi, entrain d’essuyer des bocks au-dessus du zinc. Je lui parlais donc du blog, tandis qu’il fit glisser ma pinte le long du comptoir, en essayant de lui expliquer clairement mon affaire. Pepe n’avait de sens que là où il se trouvait, c’est à dire juste derrière son comptoir. Il faisait la sourde oreille, paraissant ne pas entendre ce que je lui disais. Il m’offrit une cigarette que j’acceptais volontiers. Une goutte de sueur perla sur ses tempes et glissa le long de sa joue jusqu’à s’effondrer contre le mégot fumant qui dépassait des commissures de ses lèvres. Sa clope s’éteignit aussitôt. Il me regarda étrangement, moi calfeutré sous un épais pull à col roulé noir, et qui tremblotais légèrement.

- Dis-moi Pepe, sais-tu ce qu’est un blog ?

Cette fois je gagnais son attention. Il avait l’air perdu et enroula son torchon autour de sa taille. Je pense qu’il ne comprenait pas vraiment comment de ce côté du comptoir il pouvait faire froid, tandis que lui s’épongeait le front toutes les dix secondes. Moi, je le voyais pourtant d’une certaine manière, du moins tel qu’il me plaisait de le voir, tandis que lui voyait déjà au-delà de moi, les yeux braqués sur ma chambre à coucher, perdue dans un coin de verdure anglaise. Je suivis son regard, qui errait entre les plis de mes draps et les affiches qui jonchaient les murs de ma petite habitation, alors qu’il écarquillait grands les paupières. Je décidais qu’il aurait un œil de verre, ce qui renforcerait son aspect décharné, et le souderait d’une certaine teinte artificielle. Le bar était miteux, je l’avais transformé d’une histoire à l’autre, effaçant certains habitués au profit de deux personnages seulement, un pauvre gringo paumé et une fille du coin que j’appelais Clint Eastwood. Pepe m’abandonna un instant pour aller servir son cocktail à l’Américain, qui se tenait un peu en retrait dans un coin de la pièce. Clint tirait dur sur sa cigarette, alors que j’en allumais une autre, celle de Pepe ayant mystérieusement disparue d’une phrase à l’autre. Celle-ci me fit tousser, alors que ni Pepe ni Clint ne toussaient jamais.

Il me demanda des détails à propos du blog. Je lui dis alors que je voulais faire non pas une reprise mais une variation à partir d’une histoire qu’il avait vécue. Il se souvenait bien de cette histoire me dit-il, c’était celle de sa vie. Il était né au premier paragraphe, tandis que son père se débattait encore avec d’autres rejetons, et avait grandi à l’ombre d’une apostrophe. Il parla très peu de son papa, qu’il avait d’ailleurs peu connu, l’homme étant du genre à se couper en quatre entre sa dizaine de personnages. Néanmoins, il ne lui en tenait pas rigueur, puisqu’il avait son bar et semblait heureux. J’avais moi-même bien connu son père, que j’avais rencontré au cours d’une discussion sur la nature du temps, par une journée ensoleillée de mai. Je lui racontais alors certaines anecdotes, notamment celle de nos différents à propos du blog. C’est pourquoi concluais-je je voulais remodeler son histoire originelle. Pepe me demanda si il y tiendrait un rôle plus important. Malheureusement, je ne voulais pas transformer Pepe, qui n’avait de sens que derrière son bar. Cependant, et bien qu’il parut être affecté par cette nouvelle, la trame de mon histoire lui plut. Ainsi que la commission qu’il toucherait de la passe rondement menée par Clint. J’avançais le chiffre de 100 dollars, ce qui le fit sourire.

Derrière nous, ni le gringo ni la fille ne bougeaient. Où seraient-ils allés de toute façon ? Une fois dehors il n’y avait que le néant auquel j’avais prêté les traits du désert. De plus, ils étaient encore fades et brouillons, et ne me disait rien. D’un coup de plume j’écrivais des bretelles au gringo, des bleues et blanches à pois violets. Il gagna un peu de corps alors que je replongeais dans ma bière. Pepe me posa une question que je n’entendis pas, le bus de 13h59 passant sous ma fenêtre. Il eut la bonté de la répéter, et je lui répondis. Je me détournais aussitôt et enjambais le bar pour passer dans ma chambre et tirer les rideaux. Au passage j’écrivis un verre à Clint, pour qu’elle ait de quoi se rafraîchir le gosier. Je la fis sourire malgré elle, car selon moi un merci s’accompagne toujours d’un sourire. Pepe me demanda alors quel était le but de mon histoire, et ce que je voulais raconter. Je plongeais alors au plus profond de mes pensées, car je n’avais pas considéré cet aspect de la chose. Je pensais à une scénette, sans but véritable, sinon celui d’un certain amour. Mais il ne me semblait pas y avoir beaucoup de place pour de l’amour dans ce bar décrépi. Je voulais une petite séquence simple, où la nourriture se substituerait au sexe, je voulais une orgie d’aliments dans un espace où la sexualité n’a aucun sens, je voulais de l’absurde, du dérisoire, du ridicule. Et qui mieux que le gringo pouvait s’y plier ? J’arrivais donc à ses conclusions sous l’œil fatigué de Pepe, qui en profita pour bailler. Il ne savait pas si mon histoire lui plaisait, mais il voulait la vivre quand même. Je lui serrais la main, finit mon verre et écrasait ma cigarette. Le gringo buvait à petites gorgées son cocktail et Clint tirait sur sa clope. Je fis claquer la porte du bar, foulait le sable dégueulasse, et les laissait à ma narration, prise entre une ville et une petite fringale.

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