Wednesday, December 06, 2006

Blog Two



Milard regarda la fenêtre, qui elle aussi s’épanchait sinistrement. Un instant le verre oscilla, à moins que ce ne fut le plexiglas ou bien encore le bureau. Peut-être était-ce aussi la moquette ou le taille-crayon qui toussait. Ou tout simplement était-ce son corps. Mais ce fut un autre corps qui traversa l’espace depuis le haut de l’immeuble. La carcasse encore chaude et toute remplie de larmes de la sœur de cette fille qui l’espionnait derrière le regard en coin de son voisin ce monsieur coiffeur assit devant cette dame à la chevelure de soie. Milard posa sa main à la peau tannée de taches jaunes contre la paroi ; sa phalange sourit de ses dix plis à ce cil convulsif qui déjà s’effondrait quinze étages plus bas, entre la place prioritaire et la Jaguar.

Un cri résonna à ses oreilles. A moins que ce ne fut le sien. Il ne le sut jamais vraiment. Et d’ailleurs peu importait tout ce bazar ; il avait renversé son café. La tasse était percée lui dirait-on ; qu’importe il n’y a plus de café répondrait-il. La porcelaine blanche, blanche comme la neige ou blanche comme l’émail de ses dents, ou blanche comme de l’ivoire dérobé à la trompe de l’éléphant, ou blanche encore comme du blanc sur blanc, luisait sur la chaise en cuir noir, noir comme du charbon, ou noir comme les mandibules de son cafard, ou noir comme une mine sans fond, ou noir encore comme du noir sur noir. Mais ce blanc sur ce noir ne s’accordait pas avec sa chemise rouge et son pantalon vert, ni avec sa chaussure bleue et son autre jaune, encore moins avec ses cheveux indigo et ses yeux gris. Ce noir sur ce blanc jurait avec ses chaussettes à daims mauves, avec ses ongles orange, avec sa langue rose, avec sa main droite, avec sa main gauche, couleur main. Et quinze étages plus bas la sœur de la fille du père de l’époux de la mère de la tante de la grand-mère du cousin ainé gisait prostrée en deux dans une flaque rouge sur le pavé gris, gris comme ses yeux, rouge comme sa chemise. La moquette était colorée de pastels de zibeline et de taches d’hermine, colorée comme le béton poli et bien aimable comme un jour d’été, colorée comme un soleil fané dont il s’amuse à souffler l’histoire derrière ses éclipses en ombres chinoises.

Un sanglot, un hoquet. L’heure de la redevance qu’il ne peut payer ; alors il préfère encore l’arrêt complet de la télé. Milard mâche une myrtille, de celles qui saupoudraient les quartiers de la moribonde ; elle craque sous ses dents et tout le jus se répand contre son palais, entre sa langue et sa glotte. Lui-même grelotte, l’air dehors est froid ; il neige des steppes boueuses. A ses pieds git ce cadavre tordu aux membres disloqués ; qu’importe la tasse est percée, la moquette est trop colorée, le noir et le blanc ne s’entendront jamais sur une toile de café. Il neige, il pleut, il ruisselle, il vente, il s’ensoleille, il s’ébroue ; les saisons sont semence lorsque pleure le ciel. Lui-même ne sait plus, un jour il s’évanouit, l’autre il est ici – entre deux étages, entre deux générations, mi-ceci, mi-cela, un brin de tout, un poil de rien.

La cloche sonne, il est temps de ne plus rêver. Mais six pieds sous terre le cœur de cette fille bat toujours, elle se dit prioritaire. Ca bouchonne sur l’artère, la Jaguar la double. Et le café qui klaxonne tandis que l’éléphant brame, priorité à droite oblige. Mais la moquette se fâche, on ne lui roule pas dessus n’importe comment, la chemise est au rouge et le pantalon au vert. Crissement de freins, la phalange dérape alors que la chaussette fait une queue-de-poisson à la chaussure, bon pied bonne laine. Les ongles vont sur la file de droite en ligne gauche vers la mine à l’émail de cuir, mais la chaise sur la gauche braque, ses quatre roues motrices laissent une trainée d’ombres chinoises sur l’hermine blanche de l’asphalte couleur main. Un tête-à-queue, l’ivoire ralentit pour laisse brûler la neige, la zibeline déjà se fissure et la tasse éclate ; le cafard glisse sur la chaussée et s’encastre dans le taille-crayon ; c’est tout un bazar, une histoire de mensonge complet, de génération à la langue aillée, de mèches et de bigoudis mal peignés, de coiffeur ne sachant que faire pour rehausser la moustache de l’ainé, de cœur qui ne bat plus pour rien à moins qu’il ne batte encore pour lui ; Milard ferme les yeux et s’endort, revoilà le bâillement. Il regarde la réalité qui elle aussi s’épanche tristement ; un soupir, le retour au rêve, le réel lui disparait sous la couette, jusqu’au jour prochain, revoilà demain.

5 Comments:

Le Collectif said...

Salut, je me désole que tu ne sois pas commenté encore, Gzu ne prend pas au serieux.

Tu fais dans la reprise, ce qui change un peu la perspective. Une fois de plus, je ne vais pas trop détaillé, pour la simple raison que cela prendrait de plus mûres considérations.

Encore cette atmosphère lourde, glauque et intangible saleté. image du 19e ou qui me fait penser a Sin City et qui se retrouve souvent en ambiance dans ce que j'ai vu.
Je sais que tu peux aborder d'autres styles, et avec succès. Et je ne peux rien reprocher à ce genre d'ambiance qui revient.

Mais rappelle toi ce que tu me disais, sur les élèves qui écrivaient toujours même ton et atmos et qui t'insupportaient. J'insiste, ce n'est pas un défaut et il ne eut être que bénéfique de pousser dans le style vers lequel on se porte intuitivement.

Bon. Sinon de très belles images, tu joues et tu relaches, tu ramenes de toutes les sensations et de toutes les textures: c'est riche. Tres riche.

Le jeu sur les couleurs etc. des choses que je ne 'comprends' pas forcement au premier abord mais qui ont un sens surement ou surement pas.

Toujours le même bon sens de la scene d'action, des points de vue, cinelatographique etc.

Ce que je remqraue, dans nos trois travaux, c'est qu'on reste dans le domaine d'écriture ou l'on se sent a l aise, a la maison, ce qui est naturel, positif, et regrettable.

Le temps il y a, mais voyons ce que nous pouvons.

Anonymous said...

reprendre blog one et poursuivre, pourquoi pas?
je suis toujours surpris par l'aisance de ta plume, sachant que tu as composé blog two en quoi 1h? c'est peu, peut-etre pas assez, mais bon à chacun sa manière.
On retrouve le style prolixe, dense et imagé du flo et on s'y retrouve.
J'aime beaucoup ton deuxième paragraphe et ta façon d'introduire certains mot tels que "ainé" qui vient cloturer une litanie logiquement insensée.
En revanche je ne sais pas trop quoi penser de ton dernier paragraphe, tu joues sur le retournement et le double sens, ce qui me plait mais par contre je ne trouve pas que ton choix -délibéré- de réinsérer une deuxième fois les mots apporte beaucoup à l'action.

Sinon, bonne maîtrise du mouvement et de la description, tu commence à roder pas mal je trouve. Texte maîtrisé donc, peut-etre un peu trop?

Un conseil, si je peux me permettre, toujours le même: attention à ne pas rentrer dans "l'exces" et dans la profusion qui peuvent dérouter un lecteur non averti et qui nuit à certains détails qui demande de l'importance mais qui de fait ne l'obtiennent pas faute d'etre etouffer par le texte tres dense et brousailleux.

Sinon, j'ai pas bien compris t'as proposition au sujet de continuer "mon" histoire, celle du coiffeur? je n'en vois pas trop l'interet, explique moi...

PS: Attentin aux langues de bois, je prends cela au sérieux.

PPS: As tu deja pensé à faire critique?

Anonymous said...

L'exercice semble avoir porté ses fruits, à savoir l'introduction d'une certaine introspection concernant nos trois travaux, ce qui n'est pas toujours évident. Ma proposition était de reprendre le sujet de ton histoire et de la réecrire chacun à notre manière, en explorant pourquoi pas de nouveaux registres. A vous de voir, ou que quelqu'un balance un paragraphe que l'on continue à tour de rôle. L'intérêt ? Développer son style sur un territoire commun. Pour ce qui est de faire carrière dans la critique, c'est non merci et à tchao bonsoir. Bien à vous les gentlemen.

PS: Je pige pas la langue de bois.
PPS: Continuons sur cette lignée, publication-réaction, celà aide beaucoup.

Le Collectif said...

Je vois deux possibilités:
qqun ecrit un debut d'histoire et les autres le poursuivent, ou bien
qqun ecrit une histoire et les autres la réécrivent à leur maniere, gardant l'intrigue mais changeant la perception et le style pour avoir une seule et meme histoire mais differente a chaque fois.
a voir...
Veux tu lancer un debut d'histoire?

Anonymous said...

Je vous laisse cet honneur.

s