Wednesday, December 06, 2006

Blog one

Milard n’affrontait que les redevances qui le dépassaient. Et pour cause, si elles ne l’avaient point dépassé, il eut pu confortablement plonger les oreilles dans le grain. Une fille, enveloppée d’un bandeau rasta, déboule au travers du bureau tel le personnage fléchi d’un dessin animé jeunesse, poussant à bout de bras, le dos courbé la tête dans les genoux, les jambes galopantes en cercles lumière, un carton qui dans le zeste envenimé de cette chevelure épaisse paraîtrait moins fardeau que plaisir si seulement ne s’écoulait pas le langoureux cri du carton glissant la moquette. La sœur aînée de cette fougue traînait les quartiers saupoudrés de myrtille – la myrtille loquace et fugueuse, loqueuse et fugace, qui s’épanche sinistrement le bas d’un muret bazardé, cracheur de souffre. On l’a retrouvée gisant dans sa mare de myrtilles et de clopes écrasées. Ce fut l’histoire du quartier pendant une bonne heure. Puis le maréchal-ferrant est revenu d’une lointaine tradition, et les convives reprirent place aux guichets, aux comptoirs, aux sollicitations dont ils ignoraient la cause. Milard regarda la fenêtre, qui elle aussi s’épanchait sinistrement. Puis la tasse. Un reste de café sursucré coulait, à sa propre initiative, en dehors de la porcelaine. « Bizarre que je n’ai pas remarqué le trou en le buvant » s’interrogea-t-il. « Tu l’as toujours remarqué » se répondit-il. Pourtant la voix timbrait inconnue. Le taille-crayon, véritable perpétrateur des bizarreries ambiantes, soulagé, soupira. « Sois sans crainte » Non, cette fois la voix sonnait carrément faux. Milard se retourna, dû lever le menton pour ne pas être nez-à-buste avec un buste, ses yeux rencontrèrent là-haut une silhouette masquée par le néon qui espionnait de son poste d’observation en contre-plongée. La silhouette arrondie, en forme de crâne extra-terrestre, un turban digne du dernier sultanat répertorié. Il s’évanouit. Le prochain souvenir qu’il eût n’était pas le sien. Les cils humidifiés par une substance repoussante, autant ne pas imaginer, il releva douloureusement son corps blême, endolori sans raison. Le cagibi – est-ce un cagibi ? – demeura sombre, même après… Milard’s langue, pantoufle écorchée. « Me suis-je fait empoisonner ? » Milard restera l’emblème de notre génération. PS : Il n’a que les faux coiffeurs qui savent servir les grecs complets.

2 Comments:

Le Collectif said...

merci poour la promptitude de cette première publication qui j'espère ouvrira la brèche à une longue série.
Texte qui m'a demandé une relecture mais qui a fini par prendre sens.
Pour ce qui est de l'exercice initial en lui-même, tu as vraisemblablement choisi la facilité. L'intérêt n'était-il pas d'insérer les mots de sorte qu'ils s'effacent presque totalement?
Peu importe, le résultat est là!
Impatient de voir la suite
over.

Anonymous said...

Jay ou le nouveau langage:
Un pari osé de tout mélanger aux grés des formes et des langues qui me plait énormèment (cf."Milard’s langue, pantoufle écorchée"). J'aime cette idée de "pot-pourri", tout prendre et tout malaxer, faire sa petite mixture dans le grand chaudron des mots, et associer les sons, les idées et les images sans toujours tenir compte d'un sens premier qui devrait répondre à une conception traditionnelle d'une histoire. Je m'y retrouve dans ce "Blog One", du moins je suis en terrain connu, sans frontières ni barrières syntaxiques ou règles dites "classiques" (dans le sens large du terme).
"La sœur aînée de cette fougue traînait les quartiers saupoudrés de myrtille – la myrtille loquace et fugueuse, loqueuse et fugace, qui s’épanche sinistrement le bas d’un muret bazardé, cracheur de souffre" - autre aspect qui m'a séduit: les associations sonores et musicales, la force des images, le souçi de distiller de l'impromptu dans du concret.
Je me suis permis de réutiliser Milard ainsi que certaines tournures de phrase pour mon "Blog Two" parce que l'idée originale m'avait séduite.
Enfin, car il en faut bien, j'ai particulièrement accroché sur la coupe des phrases lorsque par exemple il manque un mot ou un verbe (voir première citation, pour n'en citer qu'une seule) - ce qui permet de donner un sens nouveau et une certaine profondeur dans les tournures. Jeu sur l'ombre, jeu sur l'absence ou le non-dit, je laisse ce soin au chercheur en tout genre qui aime à dissiquer un texte comme on éventre une grenouille, personnellement je n'ai pas besoin qu'on m'en mette les entrailles sous le nez pour en apprécier la mécanique.
Seul défaut peut-être: n'avoir pas joué le jeu des mots jusqu'au bout - péché ? manque de temps ? Peut importe te dirais-je, le cadre n'a de sens que si l'on en sort. Merci à toi de retourner le tableau donc.

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