Saturday, November 10, 2007

Sforzinda (Alternate Take)

La sébile du vieil homme était percée depuis tellement longtemps, que tous les habitants de Sforzinda s’étonnaient qu’il soit encore en vie. Pourtant, l’homme continuait à s’asseoir chaque matin en face de la fontaine. Et chaque soir, on le voyait se relever et se diriger vers la plage, où la rumeur prétendait qu’il vivait au fond d’une étoile de mer. En vérité, nul ne savait d’où il venait, ni vers où il repartait. On ne le guettait même plus, il était là, tout simplement. Assit au pied du même mur, les couilles pendantes et flasques, la barbe raclant la poussière, le visage aussi ridé que la mer et les dents blanches comme l’écume. Les théories les plus folles couraient sur sa dentition. Personne à Sforzinda n’avait jamais vu de telles dents (la plupart des habitants soignaient encore leurs caries au forceps et au whiskey). Certaines mégères disaient alors que oui, le bougre avait bien le même sourire que Frank Sinatra. La comparaison s’arrêtait là. Le vieux, comme l’appelaient les mâles virils et amateurs de barbecue de cette noble ville, ne chantait pas. Pire, il ne causait pas non plus. Personne l’avait jamais entendu piper le moindre mot. Pas même un merci. Paradoxalement, nul ne lui avait jamais donné la moindre pièce. Mais peu importait, la plèbe l’avait mauvaise. Un homme qui parle pas, disait le maire, est un homme dangereux. On avait alors entrepris une vaste campagne pour déloger le vieux, la milice l’avait même chargée un soir où le petit verre de fin de service s’était transformé en grosse cuite du samedi soir. Deux douzaines d’hommes s’étaient retrouvés au pied de la fontaine, simplement munis de leurs paires de testicules respectives, qu’ils estimaient supérieures à la moyenne nationale, ainsi que de tessons de bouteilles. Le vieux les avait bien sur entendu arriver de loin. Mais, il n’avait pas bougé pour autant. Pas plus lorsque les coups se sont mis à pleuvoir tellement fort sur son crâne qu’il aurait juré que c’était la mousson. Les hommes de Sforzinda, dont le silence d’un pauvre vieillard semblait défier la virilité décidèrent alors de lui pisser dessus. Ce sont presque vingt-six jets d’urines (le vingt-sixième étant trop timide pour se pavaner au milieu de cette compagnie), aux forts relents de houblon, qui souillèrent la barbe du vieux. Il n’en parla pas moins. Il se retrouva le cul par terre, trempé de pisse et la sébile renversée, mais ne décrocha pas le moindre mot, ni n’esquissa le moindre geste. Personne n’eut l’idée que cet homme était peut-être muet (mais il ne l’était pas) ou bien simplet, touché par les anges aurait dit le poète, mais Sforzinda n’en comptait aucun. Le vieux avait toute sa tête et elle fonctionnait même sacrement bien. Quant à ses testicules, valeur qui permettait de jauger la qualité d’un homme dans cette bourgade, ils auraient pu à eux tout seuls faire s’effondrer la bourse de la masculinité du comté. Quoi qu’il en soit, cet incident resta dans les annales. En moins d’une demi-heure, le bruit avait fait trois fois le tour de la ville, des gouttières aux slips encore amidonnés qui pendaient sur les cordes à linge. Chacun y allait de son petit commentaire, et s’il fallait résumer l’ensemble des conversations qui agitèrent Sforzinda ce soir-là, il faudrait dire que dans l’ensemble les habitants approuvaient ce raid punitif. Le maire sermonna pour la forme les auteurs de l’assaut, et leur serra, en coulisse, la main très chaleureusement. Puis, il rentra chez lui, regarda un porno et s’endormit sur le canapé, la tête affalée dans la boîte de Kleenex. Pourtant, à la surprise générale, le lendemain matin le vieux était de nouveau assit au pied du mur, la sébile en main. Alors, un étrange phénomène se produisit à Sforzinda. Des gallons entiers de bière furent vidés dès neuf heures du matin, le gros Jimmy vendit en une heure plus de paquets de cigarettes qu’en une journée, Sally sortit son cul connu depuis Mathusalem hors de sa turne et se mit à tapiner tandis que les hommes se grattaient l’entrejambe d’un air perplexe, une sèche rivée au coin des lèvres et la main posée sur la chopine. On recensa des taux d’ébriété frisant le record historique de la ville, les gendarmes durent intervenir et sceller les portes de la PMU, une quinzaine de personnes furent interpellées et jeter au trou après un passage à tabac protocolaire. Nul à Sforzinda ne comprit pourquoi et comment le vieux était encore là. On avait beau se saouler, tirer son coup et tringler la Micheline une fois de plus qu’à l’ordinaire, fumer une dizaine de cigarettes en une heure, se faire tabasser par un flic dont la seule jouissance d’ordre sexuelle restait encore le fracas d’une matraque sur un crâne, et se cogner la tête contre un mur, on ne comprenait rien. Le vieux, lui, ne paraissait nullement surpris. Les gens s’arrêtaient pour le regarder, les gosses allaient même jusqu’à le toucher tandis que leurs mamans obèses leur donnaient de la taloche à vous dévisser le crâne. Une femme à l’allure pachydermique, dont les bourrelets jaillissaient hors du pantalon comme de la pâte entrain de gonfler, cracha au visage du mendiant. Il n’eut aucune réaction et se contenta de laisser la bave couler sur son front jusqu’à ce qu’elle s’écrase sur son nez et goutte enfin sur sa barbe, qui, soit dit en passant, n’était plus à ça près. Il y eut alors comme un soulèvement à Sforzinda. On s’organisa mieux encore que pour la battue de l’année précédente, lorsque le petit François avait disparu. On avait retrouvé que sa couche-culotte encore chaude de talc, avant de tomber sur son corps deux jours plus tard, criblé de cartouches de plomb, calibre 12. Joseph, chasseur de père en fils depuis quatre générations, mais dont le strabisme et la goutte s’accentuaient au fil des années fut arrêté puis blanchi. Il ne cessait de répéter qu’il avait cru tirer un lapin. Devant une telle défense, la cour de Sforzinda statua sur un non-lieu. Depuis, Joseph et les parents du petit François sont copains comme cochons. On raconte qu’ils fréquentent le même club échangiste. Pendant ce temps, les hommes se regroupaient à Sforzinda. Le maire, alarmé par ce soulèvement populaire qu’il n’aurait jamais pu maîtriser, fut enfermé dans sa cave et confié aux bons soins de Nikolaï, immigrant tartare clandestin, bâtard croisé entre un géant mongol et un transsexuel sibérien, et qui avait le bon goût de cultiver épilation intégrale et pédophilie. Une fois cette besogne rondement menée, et saluée par de grandes claques dans le dos, les hommes de Sforzinda marchèrent sur la gendarmerie. En moins de temps qu’il n’en fallait pour traverser de long en large la ville, l’ensemble du corps de police fut maîtrisé. Les vingt et un policiers furent déshabillés et lâchés dans la cage du lion, qu’un cirque ambulant qui s’était provisoirement installé la semaine précédente à Sforzinda avait sevrée trois jours durant, histoire de le rendre plus effrayant. La bête ne fit d’eux qu’une bouchée. Elle recracha leurs os, rota et se cura les dents de la pointe de ses griffes tout en se grattant le fondement. On pouvait encore voir les forces de l’ordre remuer dans son estomac. Ce qui n’empêcha pas le brave animal de taper son roupillon. A partir de cet instant, il n’y eut plus à Sforzinda la moindre autorité légale et compétente pour protéger la vie du vieil homme. La foule se dirigea donc droit sur la place. Les femmes suivirent leurs hommes, retroussèrent leurs manches et entamèrent la descente en bras de chemise, les tétons pointant droit vers la fontaine. La procession était transie d’excitation, ça criait dans tous les coins, la sueur coulait, les cœurs battaient, la bave pendait, les rétines se dilataient, les glandes secrétaient, les hypophyses bouillonnaient, les zygotes gigotaient entre les cuisses de leurs mères, les épididymes charriaient leurs lots de spermatozoïdes par brouettés entières, les vulves gonflaient comme des baudruches d’hélium, les Monts de Vénus s’embrasaient, le smegma coulait comme si on avait sabré le champagne et quelle que fut l’issue de cette marche, le taux de natalité des dix prochaines années serait aussi ascendant qu’une érection. Les hommes avaient sorti leur arsenal de guerre, comme la veille de l’ouverture de la chasse, et les fusils pendaient aux épaules, tandis que les bananes Quechua étaient remplies de cartouches. Certains avaient même pris leurs appeaux et sifflaient dedans, espérant leurrer le vieux. C’était en tout plus d’une dizaine de tonnes de chair grasse au visage rougeaud et congestionné qui s’ébrouait en direction de la place, bien décidée à lyncher et empailler le vieil homme. Mais, à la surprise générale, il avait fui, peut-être dans son étoile de mer. Tout était aussi désert qu’au premier jour, lorsque qu’Adam et Eve couraient les fesses à l’air, et seul un chat noir traversa les pavés en courant, ses petits coussins rebondissant sur la pierre. Le silence s’abattit alors avec fracas sur la communauté de Sforzinda, tandis que chacun reprenait son souffle. Mais, il y avait trop d’adrénaline dans ces veines, trop de sang qui circulait sous ces peaux chiffonnées, trop d’huile dans cette mécanique qui pistonnait à s’en faire éclater les soupapes. Nul ne sait vraiment qui proféra la première parole, on accusa longtemps le rabbin, car Sforzinda était connue pour être ouvertement antisémite, mais le rabbin prêchait à ce moment-là à la synagogue, qui faisait partie de ce que le maire appelait sa « politique de tolérance ». Quoi qu’il en soit, des paroles s’échappèrent hors d’une bouche, puis cette même bouche ou sa proche voisine fut brisée nette par un poing aux jointures blanchâtres, ce qui eut pour principal effet de faire craquer deux molaires, qui du coup se retrouvèrent par terre, dans une flaque de sang, alors que déjà le poing était saisi par plusieurs mains qui le tirèrent jusqu’à ce qu’il s’effondre, tandis que des orteils le martelaient, et faisaient craquer l’ensemble de ses 27 os, des carpes aux métacarpes, écrasant ses phalanges sous leurs semelles cloutées, mais c’était alors sans compter sur les partisans du poing, maintenant complètement disloqué, qui se révoltèrent et chargèrent les chaussures dont le cuir Milka craqua sous la déferlante d’annulaires bagués d’or, qui estampillaient le sceau du mariage sur une variété de pieds, qu’une majorité avait grec, désossant les métatarsiens comme des ailes de poulet, jusqu’à ce que les chevilles et les tibias se mettent à faucher les doigts qui explosèrent en boursouflures violacées et sanguinolentes, perdant leurs alliances qui roulèrent au milieu des corps effondrés, zigzaguant entre des lambeaux de peaux et de mousse, évitant de justesse une oreille sectionnée dont les poils s’échappaient par touffes entières le long du pavillon, et rebondissaient contre des nez fracturés, certains en bec de canard, d’autres en pied de marmite, dont les muqueuses retroussées étaient couvertes de morve, avant de s’écraser enfin au fond du caniveau. L’incendie qui devait ravager Sforzinda se déclencha environ une heure après lorsque les premières bombes artisanales au napalm explosèrent. Les pompiers commentèrent plus tard l’ingéniosité des pyromanes qui avaient mélangés naphte, salpêtre, soufre et bitume pour réinventer, sans le savoir, le feu grégeois, alors que la grande majorité des habitants de Sforzinda pensait que Byzance était le titre du dernier téléfilm érotique sur RTL9. Le maire, que l’on avait retrouvé les quatre fers en l’air sous la croupe du brave Nikolaï, modèle d’intégration réussie, avait déposé une plainte contre X, puisque nul n’avait jamais su le nom du vieux. Le dossier gagna de l’embonpoint lorsqu’on rajouta une dizaine de plaintes pour meurtres, dont les victimes avaient littéralement fondus sous le napalm, ainsi que le coût des réparations qui s’élevait à plusieurs millions d’euros. Tout cela fut porté sur le compte du vieux, dont l’ardoise s’alourdissait de jour en jour. Ce qui explique peut-être pourquoi on ne le retrouva jamais. La plage et les falaises environnantes furent pourtant fouillées au peigne fin par une équipe de la DST qui retourna et emballa dans de petits sachets en plastique chaque étoile de mer. On ne retrouva rien, pas la moindre trace, comme si le vieux avait jamais existé. Seule sa sébile avait été repêchée un mois plus tard par un riverain qui croyait avoir levé une carpe. Dedans se trouvaient toutes les alliances que l’on croyait perdues depuis la bataille rangée qui avait détruit presque toute la ville.

2 Comments:

Anonymous said...

une autre version et je qui ouui, pourquoi pas; même si ton texte st aux antipodes du mien.
Sforzinda n'est pas un nom inventé par mes soins, c'est un cité idéale imaginé par un architecte romain (wikipédia pour ta curiosité).
merci en tout cas de montrer par un jet littéraire que mon texte t'a plu

Anonymous said...

une autre version et je qui ouui, pourquoi pas; même si ton texte st aux antipodes du mien.
Sforzinda n'est pas un nom inventé par mes soins, c'est un cité idéale imaginé par un architecte romain (wikipédia pour ta curiosité).
merci en tout cas de montrer par un jet littéraire que mon texte t'a plu

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