Saturday, October 13, 2007

Puberté où l'étrange histoire de Fawley Andrew

C’est à cet instant précis que Fawley comprit ce que jouer sa vie voulait dire. Il comprit ce que ses ancêtres avaient, nécessairement et chronologiquement, compris des années avant lui. A savoir le rapport étroit entre la pointe effilée d’une épée et son propre torse. Mais, dans son cas à lui, celui qui se déroulait là sous ses yeux, à l’orée du siècle finissant, il ne s’agissait en aucun cas d’une épée ou d’une dague ou même d’une lance, mais d’un croc. Un croc long et jaune qui le regardait droit dans les yeux. Au-dessus de ce croc, il y avait de la bave et de la chair qui le rattachait à une mâchoire, qui elle-même s’ouvrait en grand et grondait. Autour de cette mâchoire s’étendait un pelage ras et dru, d’un noir de jais et qui s’arrondissait autour de deux yeux féroces et noirs aussi. En conséquence, Fawley dû poser un pied à terre. Tout comme ses ancêtres avant lui descendaient de cheval, lâchant les mors et flattant les naseaux fumants de leurs destriers, Fawley posa sa basket sur le sol caillouteux de ce chemin de traverse. Sa semelle crissa contre les gravillons et la roue avant de son vélo forma un angle droit par rapport à son corps. C’était un beau vélo et une belle basket aussi. Une bicyclette à trois plateaux et 24 vitesses aux jantes d’acier fraîchement polies et aux pneus remis à neuf d’un coup de résine bien placé. Quant aux baskets, elles étaient en faux cuir blanc avec des lacets rouges et des motifs jaunes. C’est l’une d’elles qui vint mordre la poussière et qui fit face au molosse. Un gros molosse qui grondait et trépignait. Une véritable bête de guerre, dopé aux croquettes. Et sa patte grattait la terre et soulevait des petites mottes brunes et grises. Fawley se dit que sa vie aller peut-être bien finir dans la gueule de ce clébard. Il se dit que tout ce qui resterait de lui serait son vélo et avec un peu de chance une de ses pompes. Il n’avait même pas vu le troisième épisode de La Guerre des Etoiles. Il n’avait jamais connu de femme ni même de fille. Il avait commencé à fumer, mais il ne s’y était pas encore habitué. Il cherchait toujours son style, se demandant s’il valait mieux tenir sa cigarette entre l’index et le majeur (à l’ancienne) ou entre le pouce et l’index (à la cool). Sa première cuite datait de son dernier rêve où il vomissait devant Jane, une main sur la hanche, l’autre appuyé sur le mur, l’air de celui qui a déjà tout connu et tout vu, l’air de celui qui gère la situation et qui vomit comme il crache, par nécessité. Mais surtout, il venait à peine de découvrir les joies d’un plaisir tant solitaire que masculin, et dont il ne se lassait jamais, y cédant dès que l’envie l’en prenait, tantôt dans les toilettes de l’école ou derrière le chêne qui bordait la propriété familiale. Et voilà que tout cela était à la merci d’un croc. Un foutu croc qui le lâchait pas d’une semelle. Ce qu’il fit ensuite demeura pendant longtemps une image vague et floue dans se mémoire. Peut-être eut-il recours à la force ou bien la puisa t’elle dans son envie folle et forte de fumer et de vomir comme il fallait ou bien encore eut-il un coup de zèle, il ne le su jamais tout à fait. Quoi qu’il en soit, le shérif retrouva le lendemain le corps du chien, le tronc sectionné en deux par un quelconque objet contendant, la gueule béante et édentée, les yeux énuclés et le fondement… et bien le fondement défloré. Ce fut un rapport long et délicat à taper pour le shérif Andrew, de ceux que l’on ne tape qu’une seule fois dans sa carrière et que des litres de whiskey ne parviennent jamais à effacer complètement. Pourtant il s’acquitta de sa tâche avec une certaine noblesse. Il choisit ses mots avec soin, recourant régulièrement au dictionnaire, et présenta aux propriétaires de la bête une version édulcorée de l’affaire. Le viol de leur animal fut passé sous silence. On ne retrouva jamais le coupable et franchement le shérif Andrew ne s’en plaint pas. Il se contenta de boire à la santé de la pauvre bête sitôt que la dernière pelletée de terre la recouvrit. Il offrit ce soir-là sa première bière à son fils, qui la but avec honneur et dignité, gorgée après gorgée, se raclant la gorge et s’éclaircissant la voix de temps à autre. Pour Fawley, le goût de cette première bière offerte par son père (avec l’argent du contribuable), ressemblait étrangement à celui du sang. Il comprit qu’avec le temps il y deviendrait accro. Mais, d’ici-là, il y avait encore le troisième épisode de La Guerre des Etoiles à aller voir.

2 Comments:

Anonymous said...

"tantôt dans les toilettes de l’école", et les droits d'auteur ?

Merci pour ce texte.

Anonymous said...

Tiens, parlons-en des droits d'auteurs!

s