Wednesday, February 14, 2007

Histoire d'un sourire

Il faisait beau, cet après-midi là, en plein cœur d’un Paris en ébullition en ce jour de fête nationale et, même le soleil semblait avoir été hissé pour donner à Paris une luminosité écrasante. Cet homme que l’on peut apercevoir à la terrasse du Café de la Sorbonne sirote une limonade, seul, en louchant sur les jolies parisiennes. Il paraît avoir été déposé là, par hasard, n’être qu’observateur tandis que s’agite la foule. Il semble hors du temps, détaché de toute contrainte matérielle. Il est jeune, grand, mince, solidement bâti et peut avoir vingt-huit ans. Ses cheveux frisés sont quasiment noirs, ses yeux bleus perçants sont pleins de feu ; Son nez est camus, ses pommettes roses et saillantes. Ses lèvres bombées annoncent un menton vindicatif et ne retirent rien à la noblesse de son visage. Sa peau est mate, presque tannée, on parierait qu’il revient d’un voyage en mer. Il est indéniablement sublime. Ce qui frappe, c’est ce sourire qu’il arbore sans cesse et qui éclaire le bas de son visage de ridules charmantes. Est-il satisfait, content ? Non, bien pire, heureux. Il vient d’achever des travaux à la Sorbonne qui l’occupaient depuis plusieurs années et s’apprête à profiter d’un repos mérité. Et, chose essentielle à son bonheur, il aime ; et est aimé. Et il pense à cet amour et ses yeux prennent à ce moment une teinte brillante, translucide. Il est au tournant de sa vie, va débuter sa carrière professionnelle. Et alors qu’il se rend compte de ceci, il pense à elle, avec qui il vit depuis deux ans et se lève, soudainement animé d’une indomptable envie de l’épouser, de vivre pour elle, grâce à elle. Il achète toute la cargaison d’un vendeur de roses sillonnant le café depuis plusieurs minutes, boit, repose son verre, paie. Observez les sursauts réguliers qui traversent son corps. Ce sont les battements de son cœur empreint d’un amour inégalable. Il fait quelques pas, rapides, sans voir qu’il bouscule une jeune femme. Il n’entend plus les bruits de la ville, il ne pense qu’à elle mais, subitement il se retourne pour admirer, une dernière fois, le magnifique édifice dans lequel il a passé plusieurs années. Il est au milieu de la rue, le voyez-vous ?, au cœur de Paris en fête, heureux, superbe, obsédé par l’idée d’être près d’elle, occupé, l’espace de quelques secondes, à contempler le bahut magistral. Soupirant de joie, il se retourne, fait un pas. Le dernier. Il s’effondre sous les roues d’une vieille 2CV, pourrie. Sa joue claque contre l’asphalte, son corps choqué se distend, ses yeux se ferment, le sang coule le long de son visage agressé encerclé de pétales de rose et ce sourire dont je vous parlais est maintenu, figé pour toujours. Il est mort et ses envies, ses désirs, ses projets, ses idées avec. Seul son bonheur demeure grâce à ce sourire effroyablement éternel. - Clém

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