Monday, January 11, 2010

Comme le corbeau, le renard et la musaraigne




Froide est la campagne l’hiver. Les arbres sont nus ; les branches écorchées. Le ruisseau gelé et la glace fendillée. Une trace dans la boue fraîche ; renard, corbeau, musaraigne : la vie laisse toujours quelque chose derrière elle. Et les feuilles sont grasses, grosses de vase, pleines d’alluvions que le courant charrie comme un fétu de bourbe. Mes bottes s’enfoncent elles aussi, elles ne sont qu’une empreinte de plus. Demain, la pluie les aura complètement lavées. Mon passage sur ces terres est éphémère ; je cherche quelque chose, mais quoi ? Une réponse  à une question ? Non. Je ne suis pas philosophe pour deux sous. Le hasard – ou le destin – m’a fait naître les deux pieds bien sur terre. Simplement, mes racines sont là, à même le sol, sous la couche de glaise. Pourtant... Pourtant quoi ? Pourtant, rien. Je traverse le paysage comme le renard, le corbeau et la musaraigne ; ceci n’est plus mon territoire.
Mais une partie de moi s’y accroche ; une trace, une foulée, une empreinte de pas dans la boue grasse. Des souvenirs épars, derrière chaque chardon se cache la mémoire ; le vent a beau les ployer, l’enfant que j’étais s’écorche toujours à leurs épines. Que reste-t-il du passé ? Je me revois mon chapeau de paille renversé sur le front, un brin de blé entre les dents, allongé au milieu des champs ; et le chant des cigales qui crient dans le silence d’une après-midi torride. J’ai de la terre plein les mains, de la terre sèche et brune qui s’effrite entre mes doigts d’enfant ; et mes yeux contemplent les brins d’herbe roussie et l’étrange ballet des fourmis qui trotte à côté de mon crâne ; et puis l’air dont j’emplis mes poumons qui sent... Qui sent quoi ? Un parfum que l’adulte d’aujourd’hui a oublié, mais qu’il saurait reconnaître à la première bouffée... Je crois même qu’à une époque j’étais capable de nommer les fleurs et de reconnaître un oiseau à son chant... Je pouvais lire les pistes d’animaux qui traversaient les chemins de traverse et dire au premier coup d’œil s’il s’agissait d’un chien, d’une poule d’eau ou d’un faisan... Je me souviens surtout du vieux chêne, aujourd’hui abattu et dont il ne reste plus rien. Je m’y suis abîmé les mains et les genoux ; j’ai basculé cul par-dessus tête de sa plus haute branche pour finir dans le ruisseau, mais j’ai atteint son sommet. Je revois presque l’immensité des champs du haut de mon perchoir et pendant ce très bref instant, je crois que je me suis senti vraiment libre. Dans tout ce que le mot a de grisant. Mais aujourd’hui le chêne n’est plus et le pin que j’ai tenté d’escalader il y a deux semaines n’a guère supporté mon poids... Une trace demeure pourtant, mes mains saignent toujours au même endroit, juste sous les pouces... J’ai cherché dans les champs autre chose qu’une réponse, j’y ai trouvé des souvenirs. Froide est la campagne l’hiver. Mais ma mémoire est moite de la sueur de l’été, celle qui colle à la chemise et à la peau ; et les chardons éclosent et piquent toujours ; les serrer dans ma paume me rappelle le temps perdu, celui où, minot, je m’y égratignais les flancs...

2 Comments:

Anonymous said...

très beau.

Intra Extra said...

j'aimerais y être
S.

s