Sunday, November 04, 2007

La petite mort


La petite mort ne laissait jamais Murphy indemne. Elle le jetait haletant, le corps couvert d’une pellicule moite, le cheveu gras, la tête douloureuse, le bas-ventre poisseux, le cœur fendu et l’âme brisée. Il retombait contre le sommier, parfois dans des draps propres parfois dans des linges couverts de tâches sombres, et il se roulait en boule, insensible à toute caresse. Non pas que Murphy ait connu beaucoup de ces douceurs, qui ont pour habitude de soudoyer le passeur à l’aide de quelques écus, au contraire, la plupart du temps il allongeait un billet et se tirait fissa. Mais à chaque fois, la petite mort le refoulait hors du champ de bataille, la moelle épinière paralysée, les jambes amputées et l’espoir balayé. Il n’y avait pas de plus grande douleur dans la vie de Murphy que ce combat éternellement perdu et pourtant irrémédiablement joué. De nouveau, il s’effondrait, la gueule cassée, les dents sciées, le souffle coupé. Parfois, il titubait, ou croyait tituber, la bouche en sang, du coton plein les oreilles et les tempes brûlantes. Mais, inlassablement il chutait encore et toujours, la tête contre l’oreiller dont les plumes lui grattaient la barbe. Et une femme ou un homme, peut lui importait, seul comptait la petite mort, qui régnait en despote sur le royaume de l’or, lui réclamait son dû en espèces bien teintantes. Alors, Murphy payait, tirant presque au hasard un billet, dont la couleur se confondait à son regard daltonien, virant du vert au rouge, comme les différentes robes d’un vin. L’homme ou la femme le laissait là, en position fœtale, au milieu de relents ensuqués. Souvent, Murphy avait envie de pleurer, ça le prenait à la gorge comme la cisaille de la faucheuse, ça lui chatouillait la glotte et lui broyait les entrailles, mais il se retenait, par pudeur ou par lâcheté, Dieu seul aurait réellement pu trancher cette question. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il se penchait pour récupérer ses sous-vêtements, lorsqu’il boutonnait les gros boutons de son patelot, lorsqu’il remontait la braguette de son jean, lorsqu’il roulait autour de son cou son écharpe et qu’il chaussait ses santiags de bousseux véritable, Murphy savait en son âme et conscience que la petite mort avait encore eu raison de lui. Elle le voyait ensuite ouvrir la porte d’une chambre de motel, laissant dans son sillage un frère d’armes qui commençait à se dévêtir, se traîner le long d’un couloir aux néons blafards tandis qu’une multitude de bouches, de dents, de chairs, de graisse, de poils, d’yeux, de bave, de fond de teint, de mascara, de cigarettes, de talons aiguilles, de bas résilles, de cuir, de vaseline, de latex, de seringues, de cannettes, de fumée et de gerbe le narguaient au tournant. Et pourtant, dans son désespoir qui lui trempait le caleçon, Murphy les regardait tous. Tous le dévisageaient, l’air hagard et le regard morne tandis qu’il se frayait un chemin au milieu de cette meute de corps ravagés, la bague de sa main gauche frappant les murs de crépit brun. Dans ces moments-là, Murphy ne pensait ni à sa cigarette ni à sa bière qui l’attendait dans la glacière de son pick-up, il ne pensait qu’à la petite mort qui une fois de plus avait triomphé de lui. Pourtant, il savait bien que la semaine suivante il retournerait sur le ring, chaussant ses gants lubrifiés, le protège-dents bien carré dans la mâchoire, et qu’une fois de plus il finirait raide KO, allongé de tout son long et aussi nu qu'au premier jour. Alors, il se contentait de cracher à tous ses faciès allongés et miteux, il leur crachait aux pieds et aux visages, sur leurs vernis à ongles et leurs robes de lycra, sur leurs peaux saccagées que des milliers de mains avaient pétris, malaxés, léchés, griffés, mordus, battus, saignés, sucés, violés. C’était encore ce qu’il pouvait faire de mieux en attendant de soigner ses plaies et de chevaucher son canasson, chargeant la petite mort de toute sa folie. Peut-être qu’il roulerait de nouveau à ses pieds, après avoir mis au clou son âme, qu’un prêteur sur gage démoniaque, un djinn au sourire mauvais et à l’haleine fétide, se chargerait de troquer contre un godemiché ou une pute aux côtes encore intactes. Et la petite mort le pourfendrait de part en part d’un coup de lance, juste là où ça fait mal, elle le soulèverait et le jetterait bien loin, jusqu’à ce qu’il se fonde dans la crasse et disparaisse. Mais Murphy lui lancerait encore un billet et il s’en irait en boitant, traînant son pied-bot au milieu de ces courtisans efféminés qui lui flatteraient la croupe de la pointe du bec. Son unique espoir dans cette lutte sournoise qui l’engloutissait semaine après semaine, et dont le sens lui échappait, si ce n’est que peut-être il en allait de celui de sa vie, était qu’un beau jour la petite mort céderait le pas à la grande, et alors peut-être, peut-être, il vaincrait.

1 Comment:

Anonymous said...

hotel crassou
bite en caoutchouc
La mort d'un pou
l'or du fou

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