Friday, November 16, 2007

Entretien

Il est quatre heures de l’après-midi et j’ai de la bière plein la vessie. Le visage aussi chiffonné qu’une peau de chamois, l’estomac dans les semelles de mes Nike et la tête en mode essorage 1200 tours/minute. Si j’avais eu plus de cran, mais j’étais en rupture de stock depuis bien avant que je sois même née, je me serais mise à vomir, déposant le butin comme une lettre à la poste sur les genoux de ma banquière. Mais j’avais peur de salir son tailleur Chanel dont elle plissait la jupe toutes les trente secondes. Je la voyais bien moi, sa main qui époussetait l’hermine du bout de ses ongles vernis façon peaux-rouges. Et quand je regarde les miens, tout rongés et écaillés, tâchés de lactose et aussi riquiqui que la bite à Rocco quand il avait deux ans, je me dis mais qu’est ce que je fous là avec mes mains ménopausées, mon râtelier et mon cul immatriculé prolétaire made in culotte de cheval. Elle, la banquière suivez-moi bien, elle est du genre canon, un obus de 125 mm monté sur talons aiguilles, capable de vous filer le bourdon rien qu’en la regardant dans les yeux. Alors moi, bah, j’ose pas trop zieuter, comprenez. Je suis là avec toute ma bière dans le potiron et mon haleine qui sent aussi bon que les retombées de Tchernobyl, à me triturer les mains à plus savoir qu’en foutre de ces deux choses-là, mais encore heureux qu’elles soient là à disposition, sinon j’aurais l’air bien moi. Et la voilà qu’elle me parle de sa voix de banquière et c’est bien joli-joli une voix de banquière, ça promet toujours tout l’or de la terre et ça vous fait les yeux plus gros que la bedaine, ça vous promet le Klondike et tout ce qui avec, de la prospection à la déroute en passant par la débauche, et au final c’est le cul à terre qu’on finit avec juste la pelle qui reste pour se creuser la tombe soi-même. Mais moi j’écoute, parce que j’ai été convoquée pour ça, pour un entretien oui oui, et c’est pas tous les jours qu’on m’entretient, alors je suis venue sur mes deux guiboles que ça fait pourtant longtemps qu’elles se sont pas traînées jusqu’à la banque, parce que l’argent moi j’en ai pas de toute façon. La banquière c’est ce qu’elle me dit, du moins je crois, parce que je comprends pas tout. Bon bah alors quoi que je dis, parce que le monologue c’est bien mais je rappelle que je suis là pour qu’on m’entretienne et je crois que j’ai mon mot à dire. La miss crédit 0% je te la coiffe au poteau, rien qu’elle dit parce qu’elle a rien à répondre à ça. C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, et j’ai beau être pas trop vieille, j’ai la gueule de l’emploi comme qui dirait, et à mon âge j’en parais 60. La faute à qui je veux lui demander, pas à moi c’est sûr, faudrait commencer par chercher du côté de tous ceux qui me sont passés dessus sans s’arrêter au péage. Mais je suis pas là pour lui dire ça à la banquière et j’ai la tête qui me tourne et on se regarde droit dans le blanc des yeux, juste là où on est tous égaux, et elle je sens bien que je l’ai envoyé dans les cordes, le protège-dents enfoncé bien profond dans les amygdales. Mais sa voix elle la retrouve vite, on le lui fait pas le coup du cache-cache à celle-là, ça fait parti de sa formation, elle compte jusqu’à cent et en moins de trois minutes elle te plume de deux cents. Paf. Rien à dire, c’est du propre, je suis prise en flagrant de délit de survie. Mais le biffe elle te l’arrache avec ses dents Tonigencyl parce que c’est du béton et qu’est ce que je peux faire moi face à du béton armé d’un sourire à 2800 euros ? Elle me calme direct, d’une claque assenée d’un coup de langue, elle me fauche avec deux trois formules tirées du prospectus. Résultat je suis raide comme la trique du matin et je l’ai mauvaise. Alors je rote, plus par ennui que par conviction, parce que je commence à me faire chier à l’écouter causer l’autre, que j’ai envie de pisser tellement fort que j’en ai mal aux bourrelets et que j’en peux plus de me tenir roide dans ce fauteuil qu’on dirait taillé pour une bavette alors que je suis plutôt du genre entrecôte, avec supplément de lard aux poignets d’amour. Je me lève, droite dans mon bleu malgré mon gramme d’alcool, mais je suis une endurante moi, et je lui dis que mon compte elle peut bien le fermer. Banqueroute que je lui sors et le mot il fait son petit bonhomme de chemin jusqu’à ses synapses et croyez-moi ça doit chauffer aussi fort que le cul d’une guenon dans cette tête là. Je te la plante derrière son bureau en acajou, les jambes cotonneuses sous le Chanel et la prime qui lui passe au-dessus de la tête comme l’Enola Gay avant de lâcher sa bombe sur Hiroshima. Elle m’avait déjà saigné à blanc et sans anesthésie, elle allait pas en plus me prendre le peu qui me restait. 120 kilos de chair hallal à vous faire oublier le kwashiorkor et des os fins comme des baguettes pour soutenir l’artillerie. Mais c’est tout ce qui me reste. Ça et une bouteille de Scotch. J’ai déjà passé le portique qu’elle se lève, mais c’est trop tard ma fille je suis lancée, et c’est la drôle de guerre moi quand je me lance, il n’y a plus rien à faire. On me jette des petits coups de yeux de derrière les comptoirs, pourtant je fais pas d’esclandre, je prends juste mes cliques et mes claques et ciao la compagnie. Dehors, c’est la rue avec ses filles de joie qu’on dirait plus des dames de peine et le bitume tout plein d’arthrite qui se tord sous mes Nike. Retour à la casbah par des chemins détournés, le long de la voie ferrée avec l’express qui me broute les oreilles comme une vache les mauvaises herbes. Puis c’est la main sur la poignée, la poignée sur le pêne de la porte, la porte sur la maison, la maison sur les hypothèques et les hypothèques sur la petite misère. Et au milieu de tout ça, la bouteille de Scotch, le verre et la glace. Je trinque à ma banquière. On m’aura pas moi, je suis pas née de la dernière pluie. Dans pas longtemps je finirais la tête dans l’oreiller à saluer du sourcil une blatte ou un cafard et puis ça sera le marchand de sable sur son bulldozer à qui je pourrais rien acheter même pas le sommeil, jusqu’à ce que le jour se lève et que je me le prenne en pleine poire. Ma vie elle se résume à ça et elle est pas bien roulée, elle a rien de sexy ni de bandant, elle a rien à offrir et encore moins à donner, mais c’est ma vie. Et avec tout ça, ma vessie elle est toujours pleine comme un cubitainer mais j’ai même plus mal. Mais je suis une endurante moi, plus cabossée encore que ma vie. Et on m’aura pas.

2 Comments:

Anonymous said...

sympa sympa
on l'aura pas la mère zola
les banquiers sont des fils de chacauxxx
ps: mais moi non plus on me la fait pas, j'attends mon grec!

Anonymous said...

Sauce blanche, salade-tomates-oignons ? Moi je prends jamais d'oignons, tu pues du bec et c'est pas super bon. Je demande des petites olives grecques dénoyautées à la place.

s