Monday, March 19, 2007

Le Con Est Mon Métier

« Vous êtes un con mon tout petit ». Willard en profita pour allumer une cigarette. Il toussota un peu, très légèrement, mais suffisamment pour lui brûler la gorge. Il balaya la pièce oblongue de son regard routinier et protocolaire, lézardant le long des murs aux écailles de peintures effritées. Enfin, ses yeux finirent par se braquer contre ceux de l’homme menotté à ses pieds. « Allons, allons, dit-il, vous le saviez quand même non ? » L’autre le regarda, épouvanté. Il demanda une cigarette que Willard dans sa bonté lui refusa. Il bredouilla quelques mots que son palais asséché rendait trop arides pour être compris. Willard enleva son manteau, qu’il plia consciencieusement sur le dossier d’une chaise au cuir tout élimé. Il alla dans la cuisine et se servit un café. Lorsqu’il revint devant l’homme qui gisait maintenant à plat ventre contre le linoléum il se mit à sourire. « Ce n’est pas bien grave vous savez. Vous êtes un sale con. Bon. Cela arrive, regardez-moi par exemple, ça aurait pu m’arriver. Et j’aurais été à votre place et vous à la mienne. Est-ce ce que vous souhaitez ? Vous voulez être là debout entrain de boire ce café somme toute plutôt maussade et d’assez mauvais grain tout en tirant sur cette cigarette malhabilement roulée ? Souhaitez-vous avoir un cancer des poumons tellement gros que vous ne parviendrez pas à le faire rentrer dans votre pantalon ? Non, ne dites rien mon tout petit, je le sais déjà. C’est mon métier vous savez ». Willard alla s’asseoir sur la chaise tout en continuant à siroter son café à petites lampées tranquilles. « Comprenez-moi bien, je ne prends pas plaisir à faire ce que je fais. Pour être honnête, je n’apprécie guère le fait de vous coller le canon de mon arme contre la tempe et de vous menotter. Mais que voulez-vous, vous êtes un sale con, et ce n’est pas de mon ressort. Cela dit, je dois avouer que ça ne se décèle pas au premier coup d’œil. J’aurais pu vous croiser dans la rue et ne pas m’en apercevoir. Ou pis encore, j’aurais pu me tenir derrière vous dans la file du supermarché, les bras chargés de serviettes hygiéniques et ne pas m’en rendre compte. Vous êtes très fort mon tout petit. Je suppose que vous tenez ça de vos parents. L’un d’eux ne devait pas être complètement gâté. Je dirais même catégorie A, comme ça à l’emporte-pièce. Dites-moi si je me trompe, mais je ne crois pas me tromper. C’est mon métier, vous savez. » L’autre se redressa et s’appuya contre un mur. Il fixait ses chaussures. Puis, il se mit à rire. - J’aurais pu vous échapper, mais on ne vous l’a fait pas à vous. - Non, bien sur que non, répliqua Willard. - Vous avez vu que j’étais un pauvre con. - Votre niveau social n’a rien à voir là-dedans. L’expérience m’a souvent démontré le contraire. - Néanmoins, je ne suis qu’un con. - Oui, mais de première catégorie, ce qui n’est pas donné à tout le monde. - Je tiens ça de mon père. - Je m’en doutais, c’est souvent par le père que ça se transmet. Willard se releva et s’approcha de l’homme assit par terre. Il lui planta une cigarette entre les dents. - Merci. Vous auriez du feu ? - Non. - Pourtant, vous avez bien allumé la vôtre tout à l’heure. - En effet. - Alors prêtez-moi votre briquet un instant. - Non. - Comment diable voulez-vous que je la fume alors ? - Vous voyez, vous êtes vraiment trop con. - Oui, vous avez bien raison. Merci quand même pour la clope. - Je vous en prie. Willard lui tapota la joue et quitta la pièce un instant pour téléphoner. Lorsqu’il revint l’autre s’était de nouveau allongé sur le ventre. Ce qu’il apprécia grandement, rien n’était plus beau qu’un con à plat ventre. - Vous savez, dit-il, des gens comme vous j’en vois beaucoup. Et de toutes les catégories, je ne fais aucune distinction. Un con reste un con. Vous me faites penser à un type que j’ai connu jadis. Un sacré con lui aussi, pas tout à fait votre genre, plus con que vous quand même. Il s’appelait Florian quelque chose, je n’ai pas la mémoire des noms. Quoi qu’il en soit, il se prétendait écrivain et avait eu la brillante idée de rédiger ses romans sur des rouleaux de papier toilettes. Le support idéal selon lui, et pratique avec ça. Ça tenait dans la poche et ça ne coûtait pas très cher. Je lui ai collé dix ans mon petit. Oui, dix ans. Alors vous, je vous laisse imaginer. - Mais je ne suis ni écrivain ni diarrhéique. - Raison de plus, vous n’êtes rien. À part un con, bien entendu. - Écoutez, filez-moi votre briquet et n’en parlons plus. - Ne tentez pas de m’acheter. - Soyez chic quoi. - Cela sort de mes fonctions. Nous nous serions croisé autre part, je ne dis pas. - Mettons que nous soyons autre part alors. - Mais nous sommes ici mon petit, avec moi qui me tient devant vous, dans mon costume encore froissé et vous dans votre slip noir. D’ailleurs, je vous conseille le blanc, c’est plus adapté à votre virilité. Vous avez l’air d’un phallus anorexique. - Et si nous étions ailleurs ? - Alors ça serait différent bien sur. Je vous donnerais du feu et nous fumerions ensemble comme deux vieilles canailles. Mais le fourgon ne va pas tarder maintenant. Et vous savez ce que c’est n’est-ce pas ? Passage à tabac et sodomie en garde à vue. Le con se fait rare que voulez-vous et tout ce qui est rare est par définition de grande valeur. Les hommes deviennent violents et débridés à la vue d’un con, c’est à qui se le fera en premier. Ca se dispute là-dedans, à l’abri des regards bien sûr, et on doit ramener un peu d’ordre, on ne peut quand même pas laisser toute une brigade sodomiser un interpellé. Il faut distribuer des tours, tirer à la courte paille, organiser la chose, c’est une sacrée logistique vous savez. Sans parlez des soucis financiers en tout genres, est-ce au commissariat d’investir dans un tube de vaseline ou les hommes doivent-ils en ramener un chacun ? Délicat, délicat mon petit. - Vous aussi vous allez me sodomiser ? - Non, non mon petit. Je n’en ai plus la force vous savez. - Pourtant je suis un con de catégorie A. - Bien sûr bien sûr. Dans le temps je vous aurais pris en premier, à sec. - Combien je vais prendre ? - Je dirais une bonne trentaine, on est lundi et la boutique est pleine vous savez. - Non, je parle d’années de détention. - Ah. A vu de nez, perpétuité. - Mais, je ne suis qu’un con. - Evidemment. C’est mon métier vous savez. Vous êtes un con improductif, d’où la réclusion perpétuelle. Willard retourna dans la cuisine et grignota un reste de pizza qui baignait dans l’évier. Il se faisait vieux maintenant, dommage. Il entendait déjà les sirènes retentir au loin. Il se roula une cigarette en imaginant la joie des gars lorsqu’il livrerait son con au commissariat. On le féliciterait d’abord à coups de grandes claques dans le dos et puis on descendrait tous aux cellules, un petit verre à la main. Ca trinquerait et vociférerait et on amènerait le con au milieu de cette liesse. Et tandis que chanterait la douce mélodie de trente braguettes gonflées à bloc et salivant de toute leur joie lui remonterait seul à son bureau. Au milieu de ce bonheur il filerait en douce aux toilettes et prendrait son bouquin. Florian avait raison, pratique ce genre de littérature. Pas mal, pour un con.

1 Comment:

Anonymous said...

Avec l'esprit incisif et le cynisme chatouilleur habituels.

s